Actu : Le Los Angeles de Johnny Hallyday

Le Los Angeles de Johnny Hallyday

A Los Angeles, tout le monde pleure Johnny Hallyday.

«Dis donc le grand Belge, tu me ferais pas des chicons !» «C’est la première chose que Johnny me disait chaque fois qu’il débarquait au restaurant.» Propriétaire de Il Piccolino sur Robertson Boulevard, restaurant favori de Clint Eastwood et du Tout-Hollywood, Eddie Kerkhofs connaît Johnny depuis plus de trente ans. A l’époque du Dome, son précédent restaurant, longtemps lieu de prédilection d’Elton John et du monde de la musique où le chanteur avait déjà ses habitudes. «Un soir où Johnny était venu dîner avec ses musiciens après une séance d’enregistrement, je lui ai présenté Rod Stewart, un de mes amis, avec qui je mangeais ce soir-là. Curieusement les deux chanteurs ne se connaissaient pas. Je revois encore Rod habillé tout en blanc et Johnny tout en noir. Ça a tout de suite collé entre eux. Rod n’avait jamais vu Johnny sur scène. Il m’a fait promettre de l’emmener avec moi dès qu’il se produirait à Los Angeles, ce que j’ai fait. En sortant du spectacle Rod, complètement bluffé, m’a dit : «Je ne comprends pas un mot de ce qu’il raconte mais il est hallucinant !»

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Il nous manque déjà, déclare Eddie

Lorsque Robin Le Mesurier, guitariste de Johnny depuis 1994 – ils ont fait plus de 1000 concerts ensemble – débarque pour dîner chez Eddie ce mardi-là, il ne peut contenir ses larmes. Robin venait d’apprendre, juste quelques minutes avant, la mort de Johnny. Il était dans tous ses états. J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi malheureux. Une serveuse américaine nous interrompt : «Je suis sûre que vous êtes en train de parler de Johnny ! Je ne peux pas croire qu’on ne le reverra plus, je suis tellement triste.» «Ici, tout le monde l’adorait, enchaîne Eddie, et la plupart des gens ne savaient même pas qui il était ! Il était timide, gentil, généreux et tellement humble. Il s’adressait de la même façon à un busboy ou à une star. Il va tellement nous manquer. Il nous manque déjà !»

A Heroes Motors sur La Brea, même tristesse. Serge Bueno, un Français installé en Californie depuis cinq ans, spécialisé entre autres dans la restauration de motos vintage haut gamme, ne se remet pas lui non plus de la disparition du chanteur qu’il avait rencontré la première fois sur un rallye moto en 2001. «Je n’avais pas revu Johnny depuis quelques mois, mais me dire que je ne le reverrai plus jamais, je ne peux pas y croire. J’ai connu les plus grands : Stallone, Schwarzenegger… Johnny c’était quelqu’un à part, il ma toujours beaucoup impressionné. C’était un monstre de simplicité et de gentillesse. Il aimait bien venir me voir en fin de journée pour s’échapper un peu de Laeticia. Je gardais toujours pour lui une bouteille de chablis au frais, on s’installait dehors dans les canapés, je sortais des pistaches et des cacahuètes et on refaisait le monde en fumant une cigarette. On parlait moto, bien sûr, mais aussi de choses plus secrètes. Il adorait venir ici, comme d’ailleurs il aimait vivre à Los Angeles car personne ne le connaissait et partout où il allait, on lui fichait une paix royale.»

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En décembre dernier, il demande à Bueno de lui fabriquer une moto vintage customisée un peu racée qui lui ressemble. «J’ai dessiné quelques croquis, on en parlait tous les deux discrètement car récemment il avait beaucoup dépensé pour se faire plaisir. Il s’était acheté une Lamborghini et une Mercedes à portes papillons qu’il était venu me montrer comme un enfant, et il ne tenait pas trop à ce que Laeticia soit au courant. Il lui fait customiser sa moto à son image : musclée, saillante et pas trop ostentatoire», m’explique-t-il tout en la caressant.» «Johnny me faisait totalement confiance. Il me disait au téléphone ou par texto ce qu’il voulait précisément, comme ce réservoir chromé coupé aux ciseaux, et je m’exécutais. J’avais prévu de lui faire comme cadeau surprise quand je lui livrerai, une Rolex Daytona sur mesure avec dans le bracelet de la montre une puce incorporée qui dès qu’on s’approche de la moto la fait démarrer. Je suis sûr que cela l’aurait amusé. La moto a été terminée il y a moins de trois semaines. Il ne l’aura jamais vue. Serge me montre dans une vitrine un blouson en cuir qu’il avait fait faire spécialement pour le chanteur, peint à la main avec le logo de sa boîte de production Born Rocker et son numéro fétiche 666.»

Il était aimable avec tout le monde, des agents de la sécurité aux professeurs, se souvient Clara

«En classe de 5e beaucoup d’enfants ont pleuré quand ils ont appris la mort de Johnny. Ils ont d’ailleurs décidé d’écrire une petite chanson pour la chorale», me confie Clara-Lisa Kabbaz, présidente du lycée français de Los Angeles. Depuis plus de quarante ans le chanteur entretenait des rapports privilégiés avec le lycée. David puis plus récemment Joy et Jade y ont été scolarisés. Johnny était très impliqué dans les galas.

Quand il était en ville, il était le premier à acheter une table. «Au gala des années 1950 il y a une dizaine d’années, m’explique Mme Kabbaz, il avait enlevé sa veste en cuir au dernier moment pour la mettre aux enchères. Une autre fois il a offert sa guitare préférée. Il y a quelques années quand il a donné un concert à Downtown, il est venu personnellement inviter tous les professeurs et le personnel. Le matin on le voyait souvent accompagner ses filles à l’école. Il était très fier et très soucieux de leurs résultats scolaires. Un jour il m’a demandé : “Pensez-vous qu’elles travaillent aussi bien que David ?” On a eu les enfants de Madonna, d’Aznavour, des Rolling Stones. On a tout vu au lycée mais quelqu’un d’aussi simple, les pieds bien sur terre comme Johnny Hallyday, jamais ! Il était aimable avec tout le monde, des agents de la sécurité aux professeurs ! Tout le monde est bouleversé par sa disparition.»

De même au Shamrock Social Club sur Sunset Boulevard à West Hollywood, temple du tatouage où l’on croise indifféremment des chefs de gangs, Cate Blanchett ou Johnny Depp. Johnny sur les recommandations de son ami Mickey Rourke avait pris l’habitude d’y aller dès qu’il était en ville, seul ou en famille pour se faire faire un petit tatouage ou simplement pour dire bonjour. Dans l’arrière-boutique encombrée de photos et de vieux bibelots, le légendaire Mark Mahoney, tout en continuant de tatouer le bras d’un de ses clients, la gorge serrée, me parle avec émotion de son ami chanteur qu’il a connu il y a plus d’une quinzaine d’années.» «Je l’adorais. Ici, tout le monde l’adorait, la plupart des gens qui travaillent là n’avaient jamais entendu parler de lui. Il avait un cœur en or et tellement cool quand il fumait !» «Des tatouages Mark lui en a fait beaucoup mais impossible de se souvenir lesquels. Pas du genre à prendre un rendez-vous, Johnny se pointait toujours à l’improviste et si Mark ou Isaiah étaient libres pour lui, il restait.» «Il venait avec une idée et je lui dessinais. La seule chose dont je me souvienne, c’est que je lui ai tatoué sur le bras, d’après une photo, la silhouette de Laeticia.»

«Il y a quelques années il m’a présenté son ami Nicolas Sarkozy pour qu’il se fasse tatouer. Je lui ai fait un tout petit tatouage sur le poignet. Il a insisté pour qu’il reste bien caché sous sa Rolex ! Ça faisait rire Johnny. Je ne socialise jamais avec mes clients, mais avec Johnny c’était différent. On allait parfois déjeuner au bistrot juste à côté du magasin ou chez lui. On s’est vus aussi à Paris. Je ne me souviens plus du nom, mais il m’avait emmené dans un restaurant où l’on commençait le dîner par une cuillerée de glace à la moutarde !» «Quand je l’ai rencontré, je ne connaissais pas du tout sa musique, me confie Mark. Un soir je suis allé l’écouter à Downtown, j’étais sous le choc !» Ses clients français, il le reconnaît, ont changé sa vie ces dernières années. Il a joué des petits rôles dans «Americano» de Mathieu Demy, et dans «Blood Ties» de Guillaume Canet.

«Ce que j’aimais chez Johnny, c’est qu’il n’avait jamais oublié d’où il venait. Le petit personnel et les voituriers l’adoraient. C’est un signe ! Il leur posait toujours des questions sur leur vie, leur demandait comment ils allaient, ce qu’ils faisaient. Eux ne savaient même pas qui il était !» François Truffart, directeur du festival de Colcoa auquel Johnny en avril dernier, pourtant déjà malade, était venu assister pour soutenir le film de Claude Lelouch, lui aussi se souvient d’un homme simple et gentil. «Il refusait tout passe-droit, ce qui m’avait beaucoup frappé. Il voulait, me disait-il, être traité comme n’importe quel spectateur, ni plus ni moins.»

A Los Angeles tout le monde pleure Johnny. Dans sa maison d’Amalfi à Pacific Palisades, à quelques miles à vol d’oiseau de l’océan, une toile blanche comme un linceul recouvre une des voitures et les volets sont fermés.

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